« Bonhomme » lauréat du Prix Etincelles 2024
Yvan Robin a mis le feu à Limoges ! Porté par la Ville de Limoges, le prix Etincelles couronne un roman ado. À partir d'une sélection de trois romans établie par les équipes de lecture publique, trois classes de lycéens lisent, échangent puis votent en faveur du roman de leur choix. La sélection 2024 était : Trois fois rien ça fait toujours rien (J.Dufresne Lamy, Actes sud), Gardienne de la forêt (Nathalie Bernard, Thierry Magnier) et Bonhomme (Yvan Robin, Faction). C'est Bonhomme qui a remporté les faveurs du public.
Lorsque nous avons créé la collection Faction avec Clémentine Thiébault, il y a trois ans, le défi que nous nous lancions était le suivant : cette littérature noire, engagée, sociale, cette littérature du réel, qui est aux antipodes de la littérature de l'imaginaire, du feel good, de la romance ou de l'évasion, cette littérature qui nous ramène au monde (mais, différents, grandis ou « augmentés » du regard de l'écrivain), cette littérature inconfortable, déconcertante, dérangeante, critique, que nous offrons aux lecteurs depuis vingt ans au sein du catalogue In8, pouvons-nous aussi la proposer aux jeunes, à nos benjamins, à ceux qui seront adultes, demain ?
Si le prix Etincelles revient à Bonhomme, c'est que l'essai est transformé. La passerelle, établie. Car tout ceci n'est pas seulement une jolie projection d'adultes, ou de professionnels du livre. Ce sont les jeunes qui ont jugé. Ils ont lu, et ils ont dit oui.
Quelques libraires ou organisateurs de festivals nous ont confié leur désarroi – ils adorent la collection, mais peinent à trouver les mots qu'il faudrait employer pour susciter l'envie des jeunes lecteurs. Eh bien, qu'ils leur disent : à Limoges, les lycéens ont adoré. Qu'ils leur disent : la littérature peut beaucoup, beaucoup. Distraire, bien sûr, emporter dans des mondes imaginaires, oui, et faire rêver, oui, mais aussi faire battre le cœur, imaginer un monde nouveau, donner des armes pour combattre le monde d'ici. Muscler l'esprit.
A l'instar des deux autres livres de la sélection du reste, qui parlent également des violences de notre monde, Bonhomme n'est pas un livre facile au sens de douillet, réconfortant. Car s'il évoque les langueurs de l'été, l'ivresse des premiers émois, les kiffs et les décharges d'adrénaline des transgressions adolescentes, tout ce que la vie promet soudain de bonheurs et de plaisirs, et que Milo nous partage à l'occasion d'un été dans le sud ouest, monte une petite musique angoissante. Faite de tristesses, de coups, de plaintes, de violences. De non-dits, et de disparitions. D'un déséquilibre entre les hommes et les femmes. Entre le dehors et le dedans. Entre les générations.
Yvan Robin questionne notre modèle social. Il évolue, certes, comme se métamorphosent le corps le cœur et l'esprit lorsqu'on a douze, quinze, dix-sept ans. Change-t-il assez vite ? Et dans la bonne direction ? Quel sera le choix de Milo, et quel serait notre choix de société ?
Il y a plus que le plaisir de lecture dans ce livre malin, subtil. Quelque chose qui bouscule les certitudes. Qui interpelle l'intelligence. Qui appelle à échanger, voire à débattre. La Bibliothèque francophone de Limoges détaille joliment que « Le nom du Prix fait référence à la promesse d’un feu à venir, tout comme ces jeunes gens qui se préparent eux-mêmes à devenir des adultes, étincelles qui nous éclairent des éclaboussures de leur jeunesse. » Bien souvent, les romans que lisent les ados ont été choisis par les adultes. Comme avec le Goncourt des Lycéens, on devrait plus souvent leur déléguer la prescription. Laissons les jeunes nous recommander les bons livres. Chiche ?
Rencontre avec Yvan Robin lors de Lire à Limoges du 21 au 23 juin 2024.
Et aussi au FIRN de Frontignan du 24 au 26 mai et à Place aux nouvelles de Lauzerte les 7 et 8 septembre.